Malgré de nombreuses recherches centrées sur les représentations des métiers ou le développement vocationnel des enfants, il n'existe à l'heure actuelle presque aucune étude (Ferrari et al., 2008; Liben et al., 2001, 2002; Zammitti et al., 2020) concernant leurs représentations mentales du travail en tant que concept, ni sur leur construction, leur évolution en grandissant et leurs liens avec le soi. La présente étude vise à combler ce manque, en se basant également sur les représentations observées chez les adultes, comme les fonctions latentes et manifestes du travail (Jahoda, 1981). L’étude fait suite à une première recherche exploratoire et qualitative, est basée sur un protocole d'une trentaine de minutes et s’appuie sur des tâches de tri et de classement d'images. Ces tâches ont été proposées à un échantillon de 186 enfants âgés de 5 à 8 ans et scolarisés en écoles maternelle (grande section) et élémentaire (CP, CE1) en France. En plus de l'âge et du genre, des indicateurs tels que le milieu de vie (rural, urbain), l'indice de position sociale et le secteur (ordinaire, Réseau d’Éducation Prioritaire) des écoles ont été relevés. D'une part, l'étude visait à examiner les représentations du travail des participants en leur proposant de choisir, parmi une sélection d'images ambiguës représentant différentes caractéristiques du travail et réparties en 4 parties proposées en ordre aléatoire (lieux, activités, accessoires, tenues), toutes celles qui leur faisaient le plus penser au travail. D'autre part, l'étude avait pour objectif de quantifier l'importance des différentes fonctions du travail (utilité, appartenance et reconnaissance sociales, obtention d'une rémunération, structuration temporelle, stimulation et développement) au moyen d'une échelle de Likert visuelle-analogique en 5 points. A la suite de cette tâche, les enfants devaient choisir, parmi plusieurs photographies de visages masculins et féminins affichant les expressions faciales émotionnelles et issues d’une base de données validée (Tracy et al., 2009) celles qui leur faisaient le plus penser au travail. Enfin, l'étude visait à explorer les liens existants entre ces représentations et les intérêts vocationnels des enfants, c’est-à-dire les types d’activités vers lesquels se dirigent préférentiellement les individus en fonction de leur personnalité, et mesurés grâce à une tâche de sélection d'images représentant des activités associées aux types du modèle RIASEC – réaliste, investigateur, artistique, social, entreprenant, conventionnel (Holland, 1959) : les participants devaient indiquer leurs deux types d’intérêts préférées et les deux qu’ils aimaient le moins. Les résultats montrent que les images les plus représentatives du travail sont des lieux comme les salles de classe et les bureaux, le matériel médical ou informatique, ainsi que les tâches de résolution de problème, d'écriture et de bricolage. En ce qui concerne les fonctions du travail, le fait de gagner de l'argent était l'objectif principal du travail selon les enfants, suivi par les fonctions de stimulation et de développement puis d'utilité sociale. Enfin, les images représentant des expressions faciales positives (fierté, joie) sont considérées comme plus associées au travail que des expressions négatives (tristesse, dégoût, honte, colère). Concernant les intérêts, nos résultats montrent un lien entre les intérêts et l’importance perçue de la fonction matérielle : les enfants dont les intérêts préférés sont artistiques accordent une note plus élevée à la fonction matérielle, tandis que c’est une note plus faible pour les enfants dont les intérêts préférés sont de type social. Outre sa contribution sur le plan théorique permettant notamment de discuter les fonctions et signification du travail pour les enfants, la présente étude apporte plusieurs éléments d'importance sur le plan méthodologique grâce au développement d'outils adaptés non seulement à l'évaluation des représentations d'un concept complexe, mais aussi des intérêts vocationnels de jeunes enfants, utiles tant aux spécialistes du travail et de l'orientation qu'aux personnels du monde éducatif. Étant donné la volonté des pouvoirs publics d'intégrer aux cursus scolaires des enseignements d'ouverture à la société et de connaissance de soi et du monde, les résultats de cette étude pourraient apporter des éléments pertinents dans la construction de tels enseignements, et également éclairer les problématiques liées au développement vocationnel, notamment au regard des nombreuses inégalités (e.g., de statut socio-économique, de genre) observées dans les pratiques d'orientation.